Les querelles… ultima (1) : Heidegger, Derrida, Kühn

vieuxsouliersauxlacets_k450.1295028643.jpg  Van Gogh, Vieux souliers aux lacets, 1886

J’ai voulu reprendre la ‘querelle’ autour de la triple interprétation du tableau de Van Gogh : Vieux souliers aux lacets, de 1886, querelle opposant Heidegger (1), Shapiro (2) et Derrida, ce dernier alimentant le débat des 150 pages qu’il lui consacre dans son livre La vérité en peinture (3). Autant poser la question : de quelle vérité en peinture s’agit-il, puisque c’est Derrida qui poursuit la dispute et l’enfle à ce point, et si c’est bien de vérité qu’il s’agit, d’une vérité qu’il appartiendrait à l’art seul d’énoncer, de tenter de dire, j’avance déjà mes réserves, et si c’est bien la peinture qui est la mieux placée pour la dire ? D’une part il y a le tableau de Van Gogh, toute une histoire déjà, mais saura-t-on jamais avec quel message ? Qu’en a-t-il dit lui-même, rien que je sache dans ses lettres à Théo, et qu’a-t-il voulu exprimer par la peinture de plusieurs paires de chaussures – plusieurs tableaux, des chaussures qu’il peint jusqu’aux derniers mois de sa vie… D’autre part, il y a la philosophie, précisément l’esthétique de Heidegger exposée dans le premier chapitre des Chemins et donc la question simple : pourquoi ce choix du tableau de Van Gogh, parmi d’autres ? Enfin pourquoi la reprise, si longuement, par Derrida, à partir des simples observations de Shapiro ? « Simple » que je répète volontairement n’est pas le mot : il y a bien un tableau dans la manière des peintres hollandais, et les spécialistes, de ce point de vue-là, en ont déjà dit beaucoup – et il y a la philosophie, celle, entièrement neuve et iconoclaste en son temps de Heidegger, et celle encore plus subversive, de Derrida, maître de la différance et de la dissémination qui parcourt mieux que personne avant lui ce chemin qui va des objets aux concepts, et qui, n’ouvrant rien, égare nos signifactions traditionnelles. A partir d’une peinture clairement figurative, le propos ‘simple’ de montrer des chaussures usagées de paysans ?

pairedesouliersnoirs_k440.1295028758.jpg Souliers noirs, 1886 

pairedesouliers_k433.1295028702.jpg Souliers sur sol bleu, 1887

J’ai hésité longtemps : fallait-il citer d’abord comme ‘source’ de cette réflexion la lecture de Derrida, ou celle de Heidegger qui ne me quitte jamais et par laquelle déjà je sais que je devrai conclure ; ou m’amuser, un peu comme le fait Derrida lui-même, des observations de l’historien d’art Shapiro ? Et vraiment faut-il disputer pour savoir si les ‘chaussures’ de Van Gogh sont chaussures de paysan ou de citadin, d’homme ou de femme, ou simplement dépareillées – deux chaussures du pied gauche qui font ‘boiter’! Le plus amusant aujourd’hui, serait d’apprendre, révélation que l’on doit à Gauguin, que ces chaussures auraient appartenu à Van Gogh lui-même, souvenir du temps où il arpentait les campagnes de Belgique, mandaté là pour répandre la bonne parole : une vocation vite abandonnée… Et je ne m’appesantirai à rappeler les arguments qui étendent la dissertation sur les lacets, les œillets de chaque chaussure (percés de telle ou telle façon), leur état d’usure, leur manque d’entretien etc… Ni les jeux de mots à propos de chaussures qui « nous font marcher », ce régal des épigone néo-freudiens qui font ‘marcher’ la philosophie contemporaine. Mais Derrida s’y prend ainsi pour conduire à sa conclusion, et c’est elle qu’il faut citer. D’après lui, le travail du peintre, comme celui du philosophe plus tard, vise une ré-appropriation d’objets qui viendrait réparer une subjectivité fissurée, en tout cas éprouvée en danger de se disloquer, de disparaître. Le poids du tableau, du travail accompli, ou le poids des chaussures – chacun s’applique à noter ce détail – est le contre-poids du sujet perdu. C’est pourquoi Derrida termine ce texte prolixe par des citation d’Artaud, une autre personne en perte d’elle-même sans qu’on sache bien si c’était la société qui l’avait vidé de lui-même ou sa passion de se connaître et de se posséder sans jamais y parvenir. « Toutes ces chaussures restent là… il en a peint beaucoup… on aimerait bien faire céder la cause très singulière de cet acharnement : que faisait-il au juste ? – comme un tribut inappropriable. Un fantôme s’attribue-t-il ? Peut-on dire ‘le fantôme de’ si on ne peut dire les souliers de ? Pas de justice distributive pour ce tribut. Les chaussures sont toujours ouvertes à l’inconscient de l’autre… Quand Artaud proteste contre les fantômes… il proteste au nom d’une certaine vérité, sans sujet, sans objet, accordée à une musique qui revient souvent dans son texte… Et l’exclusion apparente des fantômes, de ceux-ci et non de ceux-là, est seulement destinée à laisser revenir l’inquiétante étrangeté, la sensation d’occulte étrangeté. Ecoutez la peinture. Elle nous ‘épouillerait’, selon Artaud, de l’obsession de ‘faire que les objets soient autres’, d’oser enfin ‘risquer le péché de l’autre…’ Il faudrait ‘rendre’ encore, donc, en se séparant… Mais la séparation c’est en soi déjà, dans le mot, dans la lettre, dans la paire, l’ouverture du secret. » Mais parce que cette restitution est une opération fantômatique, un secret qui se dérobe, « il ne faut rien rendre. Seulement parier sur le piège comme d’autres jurent sur une table. Il y a aura eu à parier? Ça donne à rendre. À remettre… » Le nihilisme de Derrida s’expose a cru dans sa conclusion : la recherche du sujet s’expose à un échec, la dispersion des objets restant d’une imparable incohérence, ce trop… et puisqu’il ne suffirait pas même de parier, autant tourner en rond dans cette quête éperdue qui devient, heureusement ou malheureusement, notre sens d’exister au royaume de ce qui demeure éternellement vide, sujet comme objet. Pour une approche didactique et sans concession de la pensée de Derrida, on peut visiter le site de Pierre Klein, ou Pierre Delayin, très fidèle au discours du maître dans son expression formelle comme dans sa pensée profonde : http://www.idixa.net (4)

souliersdebois_k447.1295028838.jpg  Sabots en cuir, mars 1888              

Très éloigné de Heidegger donc… Notamment du dernier Heidegger qui emprunte des chemins qui ne mènent nulle part… (1) ; plutôt, vraiment, à destination d’une évocation de l’être si admirablement camouflé dans les plis et replis de l’étant-là.  Nous voyons bien là que les critiques adressées à Shapiro n’ont été qu’un prétexte (pour Derrida). Les thèses de Heidegger, sur la vérité, n’oublions pas, prennent simplement en exemple « la vérité en peinture » . Celle-ci, au contraire, fait entièrement l’objet de la réflexion derridéenne et quelle que soit son amplification au fil des pages, elle détourne peu à peu complètement du propos heideggerien et nous éloigne de cette ‘méditation’ à laquelle le philosophe allemand nous invite. Dans ce célèbre texte, l’origine de l’oeuvre d’art, Heidegger se livre à un nouveau parcours d’histoire de la philosophie, réfutant une fois de plus la pensée ‘moderne’, autant dans sa définition grecque (ou plutôt romaine, latine), sa grande idée, inaugurale, par une lecture entièrement neuve des Anciens ; dans sa définition médiévale, celle d’une théologie ; et enfin moderne au sens le plus précis de cette modernité galiléo-cartésienne qui va donner à la métaphysique son inspiration et sa force ‘mathématique’ (ou ‘géométrique’) qui vient de la considération exclusive d’une raison appliquée à mesurer l’objet pour mieux le posséder, à obéir finalement entièrement à cette intelligence ‘objective’. Rappelons que cette idée-là, il la prend chez le dernier Husserl. Par contre, concernant l’oeuvre d’art, Heidegger avance une thèse franchement inédite, prétendant qu’elle a pour vocation de libérer la ‘chose’ de son carcan de définition objective, utilitaire, purement matérielle, cette ‘chose’ à ce point solidaire d’un concept de matérialité caractérisé par l’obsession de la solidité et de l’opacité, poids et résistance ; une chose néanmoins promise à disparition dans un lent effacement qui survient à force de répétition par l’usage et l’habitude. Au contraire, l’oeuvre d’art découvre – et c’est ce mot qui est aussi celui qui désigne la vérité en grec, ‘aletheia’ – la vérité cachée de la chose, son être oublié parce qu’enfoui sous les préjugés d’une expérience hâtive orientée par le seul besoin et soumise au pragmatisme imposé des nécessités de la vie ordinaire. « L’art est la mise en oeuvre de la vérité ». Heidegger veut dépasser les problèmes classiques de l’imitation ou de la copie du réel et il en vient ainsi au fameux tableau de Van Gogh, en une assez courte allusion je voudrais préciser. Débarrasser l’oeuvre de toute dépendance à l’égard de la ‘chose’, détacher sa réalité propre, c’est parvenir à discerner cette mise en oeuvre d’une vérité de l’étant qui est aussi la mise en oeuvre de l’être, d’où cette notion de « vérité en peinture ». Mais lorsque Heidegger s’applique à tracer une sorte de carte d’identité de ces chaussures, cette enquête que Derrida poursuit si longuement, il a pour unique dessein de nous montrer des ‘choses’ particulières qui ont dans ce cas fonction de relier le monde humain à la terre mère et nourricière, comme une première hypostase de l’être dans la mise en oeuvre de l’étant. C’est pourquoi il étudie plus longuement l’apparition du temple grec dans son environnement, monument qui par sa situation, son architecture, sa fonction dans la religion païenne, était le plus parfait trait d’union entre l’invisible, qui reste perpétuellement en retrait, et ce monde que nous humanisons de plus en plus en l’abaissant aux dimensions de sa matérialité et finalement de son utilité. L’oeuvre d’art, comme telle, est la manifestation exemplaire de cet effort de libération de la ‘chose’ : elle fait voir et cependant elle dissimule encore, elle ouvre et elle retient, parfaite illustration de la réciprocité ontologique qui unit indissociablement l’être de l’étant et l’étant de l’être. « Parce qu’il appartient à l’essence de la vérité de s’instituer dans l’étant pour, ainsi seulement, devenir vérité, il y a dans l’essence de la vérité cette ‘attraction vers l’oeuvre’ en tant que possibilité insigne pour la vérité d’avoir elle-même de l’être au milieu de l’étant… L’institution de la vérité dans l’oeuvre, c’est la production d’un étant qui n’était point auparavant, et n’adviendra jamais plus par la suite. La production installe cet étant dans l’ouvert de telle manière que c’est précisément ce qui est à produire qui éclaircit l’ouverture de l’ouvert dans lequel il advient. Là où la production apporte expressément l’ouverture de l’étant -, ce qui produit est une oeuvre. Une telle production, nous l’appelons création. En tant qu’apport, elle est plutôt un recevoir et un puiser à l’intérieur du rapport à l’ouvert… » C’est quelques pages plus loin, dans un passage assez peu fréquemment cité, que Heidegger en vient à préciser ce qu’il appelle Poème, ce que je m’efforce moi-même d’en dire depuis le début de mon travail. « La vérité, éclaircie et réserve de l’étant, surgit alors comme Poème. Laissant advenir la vérité de l’étant comme tel, tout art est essentiellement Poème (Dichtung)… De ce Poème de l’art advient qu’au beau milieu de l’étant éclôt un espace d’ouverture où tout se montre autrement que d’habitude. Grâce au projet mis en oeuvre d’une ouverture de l’étant qui rejaillit sur nous, tout l’habituel, tout ce qui est de mise, devient pour nous, par l’effet de l’oeuvre, non-étant. Tout cela vient de perdre le pouvoir de donner et de maintenir l’être comme mesure. L’étrange, ici, c’est que l’oeuvre n’agit en aucune manière par relation causale sur l’étant jusqu’alors de mise. L’effet de l’oeuvre n’a rien de l’efficient. Il réside, prenant origine dans l’oeuvre, en une mutation dans l’ouvert de l’étant, ce qui veut dire de l’être. »

magritte-modele-rouge-detai.1295029192.jpg Magritte, le modèle rouge (détail), 1935     

drai-mes-bottines-rouges.1295028926.jpg Martine Drai, Mes bottines rouges, 2009

Je ne sais pas pourquoi, j’ai de plus en temps tendance à penser et à croire que l’art photographique, et voilà que je l’appelle ainsi intentionnellement, peut répondre encore plus éloquemment à ce vouloir, à cette tentative d’une ‘mise en oeuvre de l’étant’. Bien sûr, l’étant de l’oeuvre photographique, cette feuille de papier, cette planéité encore, et plus économe que celle-même du tableau, n’est pas une mise en oeuvre d’une grande richesse d’étant. Pourtant l’image est là, produite d’une technologie très évoluée, très sophistiquée maintenant – ces millions de pixels – et l’image est là comme l’oeil lui-même l’a saisie, obéissant comme jamais à l’intention de l’oeil, à l’intelligence cette fois qui questionne l’ouvert pour en obtenir une réponse advenant le plus directement possible, en pur jaillissement même, de la source enfouie de l’être. Lorsque des amis fort aimables me disent que je photographie « avec l’oeil du peintre », j’ai envie de préciser que c’est surtout avec l’intention purement gnoséologique (ou ‘poétique’, nous l’avons vu plus haut) d’extraire une part d’être cachée, hors du paysage étalé d’un étant d’habitude ; tenter de donner figure à l’imperçu simplement négligé par l’expérience commune. C’est même pourquoi j’ai vu, et pour la première fois, ‘entendu’ cette réponse offerte par la photographie d’Heinrich Kühn, particulièrement dans le contexte qui était le sien, d’un post-impressionnisme d’une part, d’un symbolisme d’autre part appuyé dans cette Allemagne du début du siècle. Toutes les étapes du travail de Kühn, toutes ses ‘productions’ me paraissent autant de tentatives de révéler une part d’être caché, de mettre en oeuvre dans l’image l’étant visible, mécaniquement capté cette fois par l’appareil photographique, jusqu’à cette utilisation de couleurs pures chargées de proclamer une plus vive vérité de la chair du monde offert à la vue et au déchiffrement des hommes.  Ce qui est ‘sans parole’ – une vérité d’image qui ne dissimule rien, ne convoque pas plus l’expertise philosophique qu’elle n’autorise l’appropriation égoïque : il y a de l’être visible dans la chose – un don immédiat, une faveur de l’instant pur, c’est ce qu’ouvre l’image photographique que perfectionne Kühn. Et quand telle image deviendra purement décorative – origine de sa brouille avec Stieglitz – commerciale, publicitaire, le véhicule d’une propagande sous couvert d’information – ce qu’elle est malheureusement devenue de nos jours – lui, choisira de ‘claquer la porte’ et de se réfugier dans son village de montagne inaccessible. Geste maladroit peut-être, justifié de déclarations malheureuses sans doute. Mais j’y viens, les chaussures, plus précisément des sabots de paysans, qu’il photographie en 1929, répondent encore plus éloquemment aux interrogations de Heidegger ; ils invalident même les objections de Derrida. La propreté de cette image photographique, donnée comme telle par le procédé que l’on sait, illustre mieux la vérité de l’objet à cet instant-là sauvé de son statut de ‘chose’, inexplicablement présent dans l’innocence de sa réalité, celle-ci encore, et de plus, criante de vérité. Ces chaussures, à mon avis, ne provoquent pas de question relative à l’appropriation : elles ‘sont’.

numeriser0009.1295029047.jpg Kühn, chaussures, papier gélatino-argentique, 1929

L’art, inutile et inadmissible – ce qu’on a dit souvent de la poésie, et parfois par défi, comme pour mieux souligner sa nécessité dans l’exception même – renvoie à deux types de valeur. Un valeur existentielle : il montre à l’évidence, et avec une force décuplée par ses moyens spécifiques d’expression, qu’il y a bien quelque chose plutôt que rien, ce qui est déjà fort étonnant, et que cette chose ne se réduit pas à une somme d’attributs, à son aspect immédiat, ce que l’on perçoit tel du moins dans la donnée sensible dont la puissance de suggestion initiale – le don ‘mystérieux’ – s’est amenuisée par la répétition, l’habitude, progressivement réduit en valeur utilitaire. Dans la photographie, peut-être aussi ce fait nouveau : une matérialité si totalement maîtrisée que nous en sommes libérés, libérés du ‘souci’… Une valeur essentielle aussi, jumelle de la première, qui en est l’expression cachée, dissimulée par l’apparence du trop-plein-donné, celui qui exige notre urgente adaptation, provoquant sa réponse précipitée et déformante, celle d’une figure ontologique explicitement désignée sinon définie et nommée comme telle, dépourvue d’existence sensible et de raison, l’image et le modèle comme l’évoquaient les Anciens. Mouvement et Vie pourra-t-on dire aussi, mais ce qui est d’un autre ordre, probablement indicible, certainement même immensurable – ce qui est à la fois privé de manifestation comme telle – idée ou modèle – et qui génère, organise même la manifestation : ni objet comme tel, ni abstraction non plus, le plus réel et à la fois le plus éloigné de cette ‘terre’ qui porte nature et vie si puissamment manifestes. Mais si les exemples, les illustrations s’imposent pour y voir un peu plus clair, et j’ai choisi plus haut l’exemple de Kühn, ce sera pour préciser que l’essence du bleu ne sera pas ‘bleue’ et que tous les arbres visibles, et le fameux ‘vert’ évoqué par Goethe, tous les visages humains illustrés de tant de portraits, ne pourront être ‘interprétés’ comme l’expression d’un seul visage, d’une seule forme à jamais absente, en retrait, vis à vis du monde, exilée et féconde à la fois. Ce qu’il faut répéter, c’est ce rapport intime entre vérité et beauté, pas un instant évoqué par Derrida je dois dire, qui se traduit par « autant de beauté, autant de vérité » ou à l’inverse, ce qui implique qu’une vérité renverse des canons de beauté établis, comme l’a vu Heidegger par contre. L’art est donc bien, dans ces conditions, la pratique d’un non-art, d’une ‘déconstruction’, admettons, d’une subversion : mais pour renvoyer non pas à une vérité historique ou psychologique formulée à neuf, mais à une vérité essentielle, celle de l’antécédent absolu de tout existant, un, seul, unique, et multiple, ce rapport miraculeux de la lumière créatrice d’images. Faut-il en ajouter ? Ceci renvoie, deuxième rappel, à la seule connaissance de soi : à l’horizon des conditions, dans la manifestation comme telle d’une dualité, dialectique-polémique, que je suis infiniment plus que ‘ce’ que je suis, essentiellement plus que l’être fini qui paraît pourtant exactement déterminé par ce faisceau de conditions. « Au point que… » tout point se situant à la limite, cette limite-là du royaume spatio-temporel, évidemment, « au point que » … tout au-delà paraisse inconcevable, quand, en vérité, et en réalité, « par conséquent », tout s’organise au présent d’un mode impératif qui est à la fois création humaine et, avouons-le ainsi, création divine, l’oeuvre unique de la Déité, son ‘jeu’. Une tendance de la phénoménologie contemporaine, française particulièrement, glisse peu à peu en direction d’une nouvelle formulation théologique, on l’a dit. Je veux éviter ici cet écueil mortel, comme Heidegger avait voulu l’éviter lui-même (en chutant dans un autre précipice hélas…),  et c’est ainsi qu’une nouvelle fois je me permets d’énoncer mon secret, me rapprochant de cette formule paradoxale, ouvertement ‘gnostique’ : l’Un en deux.

(1) Martin Heidegger : Chemins qui ne mènent nulle part, TEL-Gallimard 2005

(2) Jacques Derrida : La vérité en peinture, Champs-essais, Flammarion 2010

(3) Ernst Shapiro : on retrouvera ses arguments en consultant son article traduit dans Style, artiste et société, avec d’autres auteurs, Gallimard 1982

(4) C’est sur le site de Pierre Klein que j’ai chipé mes photos, dont les ‘chaussures’ de Martine – à l’exception bien entendu des ‘chaussures’ de Kühn que j’ai reprises de mon catalogue précédemment cité.

2 commentaires sur “Les querelles… ultima (1) : Heidegger, Derrida, Kühn

  1. Dans sa chanson « Moi mes souliers ont beaucoup voyagé… », Félix Leclerc célébrait à sa façon les secondes peaux de ses pieds. Moins dans le sentiment , les tableaux de Van Gogh ( idem pour les photos de Kühn), énoncent au mieux leur essence de tableau: une manifestation laconique et cadrée d’un état du monde. Le paradoxe de la simplicité du message -ici, le menu fretin montré hors service, dans une quiescence que rien ne trouble- et de la subtilité subversive qui s’y cache – la perte déstabilisante du ‘voir’ habituel- se résout par la conjugaison des deux : la porte ouverte à une mutation, la naissance d’images plus prégnantes que celles auxquelles on s’attendait.

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