DD – extraits – les ‘classiques’ dans la querelle des idées : George Berkeley

La plus forte antithèse opposable à Locke : l’immatérialisme de Berkeley, ici avec quelques précisions qui éclairent cette notion si controversée. Un jalon important dans l’enquête. Mais nous sommes au coeur d’un problème philosophie bien difficile à trancher , sans doute la raison pour laquelle nos contemporains ont choisi d’y revenir à nouveaux frais ! Car la question reste sans fin, ou sans réponse : quelle crédit de réalité accordée à une existence qui demeurerait sans témoin pour déclarer son ‘il y a ‘ – maintenant, ou dans le passé, ou dans une imagination ?

« J’accorderai mon attention maintenant à la philosophie de Berkeley (1685-1753) qui se trouve à l’opposé des affirmations exprimées plus haut. En me demandant toutefois si elle se résume à la définition restée célèbre de son ‘immatérialisme’ : exister, c’est être perçu, principe à partir duquel ses lecteurs ont conclu à un idéalisme solipsiste radical. L’être de la chose, son esse, consiste dans son percipi, le fait qu’il est perçu – et donc que nul objet n’existe de lui-même, séparément ! Il faut ici insister sur ce propos qui est le noyau dur de tout l’édifice idéaliste : les diverses sensations ou idées imprimées sur les sens… ne peuvent pas exister autrement qu’en un esprit qui les perçoit… Car pour ce qu’on dit de l’existence absolue des choses, existence qui serait sans relation avec ce fait qu’elles sont perçues, c’est ce qui m’est parfaitement inintelligible… Leur esse consiste dans le percipi, et il n’est pas possible qu’elles aient une existence quelconque, hors des esprits ou choses pensantes qui les perçoivent… Tous ces corps qui composent l’ordre puissant du monde ne subsistent point hors d’un esprit ; que leur être est d’être perçus ou connus ; que, par conséquent, du moment qu’ils ne sont pas effectivement perçus par moi, ou qu’ils n’existent pas dans mon esprit (in my mind), ou dans celui de quelque autre esprit créé (created spirit), il faut qu’ils n’aient aucune sorte d’existence, ou bien qu’ils existent dans l’esprit (mind) de quelque Esprit (Spirit) éternel. Je crois que cette dernière phrase, qui n’est pas retenue par les exégètes, mériterait d’être soulignée : cela consisterait à avouer que si une existence se maintient en dehors de ma perception et de sa définition par les outils de mon entendement et des jugements conséquents, cette existence est inconcevable, radicalement et à jamais hors de ma portée puisque sans corrélation possible. Kant approuvera, nous verrons… La matière n’est pas ce que nous croyons en pensant qu’elle existe en dehors de notre esprit. Nous pensons que les choses existent parce que nous les voyons, parce que nous les touchons ; c’est parce qu’elles nous donnent ces sensations que nous croyons à leur existence. Mais nos sensations ne sont que des idées que nous avons dans notre esprit. Donc les objets que nous percevons par nos sens ne sont pas autre chose que des idées, et les idées ne peuvent exister en dehors de notre esprit… (Principles of human knowledge ; Principes de la connaissance humaine, 1710, Traduction et Edition Renouvier) Tout le réel est dans la perception elle-même. Tout est dans le phénomène de la perception. Pour Berkeley, la chose perçue n’est pas dissociable de la perception. Hors la perception, la chose perçue n’est rien. Les choses perçues, qu’il s’agisse de sensations, de sentiments, de représentations issues de la mémoire, ou d’anticipations issues de l’imagination, ne peuvent pas exister hors de l’esprit, autrement que dans un esprit qui les conçoit… (Principes de la connaissance humaine) La substance des choses réside dans le percevant. Et celui-ci, c’est l’esprit de l’homme, c’est l’intelligence de l’homme. L’intelligence qui perçoit est active, et par l’entendement, elle perçoit des idées des choses. Les idées ne sont que les images des choses, tandis que l’intelligence crée les choses parce qu’elle-même est issue de l’auteur de la nature, c’est-à-dire de Dieu. Le réel vient de notre esprit, de notre âme, de notre conscience, de nos perceptions. Les choses que nous percevons sont bien des choses réelles puisqu’elles sont perçues, et des choses matérielles, mais non des substances matérielles. Et nous en arrivons là à l’autre versant de la pensée de Berkeley, là où cet homme de religion voulait en venir. Premièrement : la cause directe, immédiate et constante de l’existence des choses est le percevoir. Deuxièmement : c’est bien Dieu lui-même qui crée et soutient tout le réel puisqu’il est à l’origine du percevoir.

Une meilleure connaissance de la vie de Berkeley (notamment ses voyages !) et de ses œuvres permet de mieux cerner le contenu exact de sa philosophie et de ses intentions à visée principalement apologétique, c’est-à-dire au service d’une unique vérité – en Dieu nous vivons, nous nous mouvons et avons notre être. Nous rejoignons purement et simplement les thèses du dernier platonisme ! C’est ainsi que l’immatérialisme y paraît plutôt un ‘détour’ (ambages, écrit-il) dans la théorie, le langage et la libre pensée, de la part d’un prélat pour lequel le primat de la pratique, du silence et de l’humble soumission ne fait aucun doute. Il faut conclure, concernant l’œuvre multiple de Berkeley, que l’immatérialisme reste pourtant son noyau vivant qui nous intéresse toujours, bien au-delà des intentions véritables de son auteur. Faut-il donc repasser par une critique du langage – on ne cesse de la faire depuis, tradition anglo-saxonne oblige ! – ou faut-il recourir à l’arbitrage d’une psychologie génétique à laquelle la philosophie ‘continentale’ s’est beaucoup attachée ces dernières années ? Faut-il encore parler de ‘tempéraments philosophiques’ qui orientent nos choix ? » (pp 59 à 63)

Pour acquérir mon dernier livre : son éditeur ou les grands sites d’Amazon, FNAC, Decitre etc.

Dedans comme Dehors – Raymond Oillet – Edilivre

Acheter un livre en ligne. Edilivre

Laisser un commentaire