Dedans comme Dehors – extraits – Hume contemporain, déjà

Avec Hume, la bascule revient dans le camp adverse, radicalement opposé à Berkeley. En réalité les analyses proposées sont très proches : l’impression y joue un rôle capital et le sujet de la connaissance se situe bien à la confluence de mémoires d’impressions. Mais quand l’Esprit se trouve être le pôle principal de ce procès chez Berkeley, c’est la Nature qui le devient chez Hume, autrement dit une objectivité toujours opposable au sujet qui n’en est que l’enregistrement. Ces perspectives, je le répèterai toujours, sont encore celles d’une philosophie contemporaine hésitant entre transcendantalisme et réalisme ; nous verrons… Le passage par Kant et Husserl imposera un nouvel examen, et comment furent rebattues les cartes, à chaque fois !

« Venons-en donc maintenant à Hume (1711-1776), également contemporain de cette ‘querelle’, et dont les maîtres sont à la fois Locke et Berkeley. Comme Locke, Hume procède par l’analyse psychologique de nos idées, et voit dans l’expérience l’unique source de notre savoir : en ce sens, il est le représentant le plus illustre de l’empirisme philosophique. Comme Newton, il tient la science pour inductive, et borne ses prétentions à la découverte de lois, c’est-à-dire de relations constantes dont nous échappe la raison. Et la méthode de Hume se veut newtonienne : le Traité de la nature humaine – A Treatise of Human Nature, porte comme sous-titre : Essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets moraux. Cette méthode est pourtant celle même que Berkeley avait appliquée à l’étude critique des idées abstraites et de la matière : Hume se demande essentiellement ce que nous avons dans l’esprit quand nous prononçons les mots d’espace, de relation, de substance, de causalité. À propos de chacune des notions qu’il étudie, il recherche ce qui est vraiment et authentiquement pensé. Et, examinant chaque idée, il veut découvrir l’impression qui est à sa source. Selon lui, en effet, toute idée est représentative d’une impression, qui la précède et qu’elle se borne à reproduire. Il prend les impressions comme des données, et ne cherche pas d’où elles proviennent : elles sont pour lui, si l’on peut dire, l’absolu du problème. En revanche, l’examen porte sur les idées, en particulier sur les idées de relation. Mises à part les relations spatiales et temporelles, dont Hume admet qu’elles sont purement données à l’esprit, les relations lui apparaissent comme n’ayant rien d’objectif, et comme reposant sur les tendances du sujet, tendances se révélant elles-mêmes comme accessibles à l’analyse psychologique. Ainsi, les relations d’identité et de ressemblance s’expliquent par des attitudes mentales, par le fait que notre effort d’adaptation est, quand une perception succède à une autre, plus ou moins réduit. Les objets jugés semblables sont les objets tels que, pour passer de l’un à l’autre, nous avons peu d’effort à faire. La relation apparaît donc comme le fruit d’un mouvement aisé de l’esprit, qui nous conduit sans heurt d’une idée à une autre, mouvement qui, tout comme la sensation, est expérimenté. L’empirisme de Hume repose ainsi non seulement sur l’expérience de nos sensations, mais sur celle de nos tendances. Allant toujours à la découverte des impressions (impressions de sensation et de réflexion), il est recherche de l’immédiat, des données originaires, ce pourquoi Husserl lui-même pourra voir en Hume un précurseur des philosophes pratiquant la méthode phénoménologique. On peut ainsi résumer son effort : dès l’Introduction à son Traité, Hume explique la nécessité de transformer la philosophie en anthropologie par le fait que toutes les sciences dépendent de la nature humaine. Il s’ensuit que la science de l’homme est le seul fondement solide des autres sciences, ce qui implique que l’homme soit objectivé : nous devenons à notre tour ‘objets’ sur lesquels nous raisonnons ! Alors donc comment objectiver l’homme sans pour autant réduire ce qui fait sa spécificité qu’il admet être l’intériorité subjective ? Hume proscrit la notion d’un moi conçu comme réalité substantielle, ne voyant plus en lui qu’un effet purement mécanique des principes de l’esprit, le constituant par là comme possible objet de science, ‘objet’ qu’il évite pourtant de chosifier parce qu’il n’est jamais intégralement déterminé ni même déterminable. La postérité retiendra sa critique de la subjectivité, de la prépondérance d’un moi régent de tout ce que nous appelons ‘nos’ vies…

Notons encore que parmi les études que Hume a laissées sur les diverses relations, la plus célèbre est sa critique de la causalité. L’idée de cause viendrait-elle d’une impression objective ? D’après lui, notre croyance en la causalité ne peut être expliquée qu’à partir de la tendance que nous avons à passer d’un terme à l’autre. Cette tendance elle-même naît en nous de la répétition. L’expérience nous montre la constance de certaines successions, et l’habitude, qui est un principe de la nature humaine, nous détermine à attendre dans l’avenir les mêmes successions que dans le passé. Certes, la répétition des successions ne nous offre rien de nouveau sur le plan objectif, mais la répétition fait naître en l’esprit une habitude, qui engendre à son tour notre attente du second terme lorsque le premier est donné. Il est clair, en ceci, que la causalité trouve son fondement dans le sujet : sans un sujet, et un sujet ayant une nature, la répétition n’engendrerait rien. Cependant Hume croit tellement aux perceptions qu’il ne croit pas au sujet, qui n’est jamais le même car il diffère en fonction même des perceptions qui l’affectent. Pour Hume, le sujet n’est pas l’homme, ce n’est pas un sujet a priori (le sujet transcendantal, comme chez Kant). Le sujet de Hume, c’est la nature. C’est la nature telle qu’elle se donne à percevoir. La nature humaine devient ainsi le principe d’explication dernière des relations qui semblaient d’abord objectives, extérieures à nous-mêmes. Notons que, par cette théorie, la philosophie abandonne la voie de la métaphysique, qui cherchait dans l’être la source de la causalité, et s’engage dans celle qui conduira au criticisme kantien. Mais plus tard, chez Kant, le sujet qui fondera la causalité sera le sujet transcendantal quand, chez Hume, c’est un sujet-nature. C’est une différence qui exercera une influence décisive dans l’évolution de la philosophie à venir. » (pp 59/62)

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